Le négationnisme: une "Shoah de papier" ?
Mardi 29 septembre 2009 à 18 h à l’Hôtel Splendid (50 Bd Victor Hugo, Nice)
Conférencière :
Nicole-Nikol Abecassis est professeure agrégée et docteure en philosophie. Depuis des années elle centre ses recherches sur les aspects les plus déroutants de l’histoire contemporaine. Elle a publié : « Réflexions sur la question négationniste », en 2008, aux Editions l’Harmattan.
Présentation :
La Shoah est la tentative la plus radicale, dans l’Histoire, d’anéantissement de l’homme par l’homme, et plus précisément, de ce qu’il y a de plus humain en l’homme : sa pensée. Ce point est en voie de devenir de plus en plus clair aux consciences contemporaines. Mais celles-ci distinguent-elles également que la Shoah n’est pas terminée ? Les principes en jeu dans cet évènement historique inouï continuent en effet à produire des catastrophes : l’une d’entre elles, encore trop rarement identifiée, est l’entreprise visant à nier l’existence même de la Shoah : le négationnisme. Interroger le négationnisme, c’est interroger encore la Shoah, mais sous une autre forme.
Conférencière :
Nicole-Nikol Abecassis est professeure agrégée et docteure en philosophie. Depuis des années elle centre ses recherches sur les aspects les plus déroutants de l’histoire contemporaine. Elle a publié : « Réflexions sur la question négationniste », en 2008, aux Editions l’Harmattan.
Présentation :
La Shoah est la tentative la plus radicale, dans l’Histoire, d’anéantissement de l’homme par l’homme, et plus précisément, de ce qu’il y a de plus humain en l’homme : sa pensée. Ce point est en voie de devenir de plus en plus clair aux consciences contemporaines. Mais celles-ci distinguent-elles également que la Shoah n’est pas terminée ? Les principes en jeu dans cet évènement historique inouï continuent en effet à produire des catastrophes : l’une d’entre elles, encore trop rarement identifiée, est l’entreprise visant à nier l’existence même de la Shoah : le négationnisme. Interroger le négationnisme, c’est interroger encore la Shoah, mais sous une autre forme.
Texte de la conférence
Mon exposé ne sera pas celui d’une historienne. Pour des références précises quant au négationnisme en France, il existe un certain nombre d’ouvrages sérieux, tel celui de Valérie Igounet : Histoire du Négationnisme en France, Le Seuil, 2000.
Le négationnisme n’a pas de patrie. Mais c’est un « bébé » de l’Europe. Deux pays dominent en matière de productions négationnistes : Allemagne (néonazisme) et aux Etats-Unis (en marge du circuit universitaire).
En France, on notera les trois piliers du négationnisme :
- Maurice Bardèche (1907-1998), français, universitaire, se revendiquant ouvertement comme fasciste. Nuremberg ou La Terre Promise (1948)
- Paul Rassinier (1906-1967), français, de gauche. Ancien prisonnier de camp de concentration (Buchenwald, Dora-Mittelbau). Le Mensonge d’Ulysse (1950)
- Robert Faurisson, français, universitaire. Lettre Tribune du Monde : La Rumeur d’Auschwitz (1979)
Attention : aucun n’est historien !
1) D’abord justifier le titre… (« Une shoah de papier »)
- Inspiré du titre d’un recueil d’articles de l’historien Pierre Vidal-Naquet, paru une première fois en 1981 sous le titre de Les Assassins de la mémoire. L’édition définitive de 2005 (La Découverte) : sous-titre = « Un Eichmann de papier ».
Qui était Eichmann ? : un nazi de haut rang qui a pris une part importante dans le programme d’extermination des Juifs d’Europe.
--) le sous-titre sous-entend la chose suivante : la shoah se poursuit sous une nouvelle forme : le négationnisme.
Le négationnisme serait donc exterminateur !
Vidal-Naquet parle effectivement de : « … une tentative d’extermination sur le papier qui relaie l’extermination réelle ».
Pourquoi Vidal-Naquet, spécialiste de l’Antiquité, a-t-il travaillé à publier ce recueil portant comme sous-titre Un Eichmann de papier ?
2) Méthodologie… (la mienne)
Il ne s’agit pas, ici, de mettre des réponses en contradiction (l’objet de ma conférence n’est pas, par exemple, d’opposer ma thèse à celle de Vidal-Naquet). Mais lorsque je pointe que nous n’avons pas les mêmes réponses aux mêmes questions, Vidal-naquet et moi-même (par exemple), je vise en fait à pointer qu’il y a deux démarches bien différentes.
1) l’historienne
2) la philosophique
(pas opposées car complémentaires mais pour autant bien distinctes).
1) l’historien part des faits repérés et y reste : il cherche à les expliquer en les mettant en relation. (= une science)
Il cherche à établir la vérité du passé.
2) le philosophe cherche à dégager le sens du passé : à partir des faits, il cherche à comprendre ce qui a pu conduire les hommes à faire ce qu’ils ont fait, et ce, à partir d’une certaine idée de l’homme que le philosophe a lui-même été amené à développer.
C’est au regard de la philosophie qu’il y a un sens à parler, paradoxalement, d’un acte inhumain, d’une humanité inhumaine.
De l’inhumain, on en parle aussi d’un point de vue moral : mais c’est alors pour condamner et rejeter : « non, cela n’est pas humain, c’est bestial… ou c’est monstrueux ! »
Le philosophe, lui, affronte le paradoxe d’une humanité parfois inhumaine, et cherche à l’éclairer. Tel mon but.
*
Ainsi, Vidal-Naquet, dans Les Assassins de la mémoire, avance plusieurs explications très justes concernant le négationnisme ; et ces explications, il les juxtapose :
Par exemple, qui est négationniste ?
Tout autant :
1) les nostalgiques du nazisme, qui aimeraient bien le voir ressurgir et cherchent ainsi à sauver sa réputation en niant ses pires extrémités --) de ce point de vue, expliquer le négationnisme, c’est expliquer le nazisme.
2) une certaine ultra-gauche anticapitaliste qui aime à voir dans la shoah un mythe entretenu par les Américains (mais aussi, pour parler vite, la France, l’Angleterre…libérales), visant, entre autres, à détourner les regards de l’exploitation subie par les travailleurs du monde entier… (voir La Vieille Taupe)
Etc.
Pour ma part, donc, je tente de comprendre le sens de la shoah et, partant, du négationnisme qui en est le prolongement. (Inversement : comprendre le sens du négationnisme, c’est comprendre un peu la shoah qui est son objet (son non-objet !)).
Certes, il y a quelques autres entreprises philosophiques (très peu !) pour tenter de « comprendre » le fait historique de la shoah (ex : Jean-François Lyotard) mais le plus souvent, c’est pour en arriver à formuler la thèse dangereuse (on verra plus tard pourquoi) de l’impensable et de l’informulable !
Avancer, pour tenter de rendre compte du phénomène négationniste, que l’antisémitisme en est la cause n’est pas faux car, d’un biais ou d’une autre, dans la négation de la shoah, c’est bien toujours les Juifs qui sont visés !
Reste toutefois à se demander la chose suivante: comment comprendre l’antisémitisme du XXe siècle, qui n’est pas le même que celui des siècles précédents (XXe et XIXe et, probablement aussi, du XXIe). Quel est le sens de cette nouvelle forme d’antisémitisme (si la réponse à la question du négationnisme est l’antisémitisme).
3) Le terme (négationnisme)…
C’est un néologisme proposé par l’historien Henry Rousso (1954).
Le négationnisme désigne un parti pris intellectuel (rien à voir avec la dénégation ou le déni psychologiques)
Rien à voir ? Il ne s’agit pas de dire qu’il n’y a aucune dimension psychologique qui intervient dans l’antisémitisme, dans le racisme, etc.
Mais : il s’agit d’indiquer très clairement que ce qui est en vue avec ce que l’on appelle le négationnisme, c’est une position qui se revendique comme intellectuelle (car elle se revendique comme scientifique) et, surtout, une position en tant qu’elle est regardée comme l’expression d’un sujet libre et responsable qui avance des raisons pour défendre sa thèse.
Le point de vue psychologique explique du point de vue de la persuasion (qu’est-ce qui pousse à nier ?) :
Deux processus psychiques possibles :
Le déni (Verleugnung, dans la langue de Freud) : quelque chose me terrorise alors je fais comme si ce quelque chose n’existait pas… Le psychisme vit ainsi ce paradoxe de savoir et de ne pas vouloir savoir.
La dénégation (Verneinung) : quelque chose me dérange, alors je refoule… Il me dérangerait de penser qu’il en est ainsi alors je refoule qu’il en est ainsi et je crois qu’il en est autrement.
Le déni de la shoah serait : l’idée que la shoah a existé me terrorise car je suis conduit à cette autre idée qu’une catastrophe similaire pourrait m’arriver (recommencer), alors je me débrouille pour penser que ce n’est pas vrai que cela a existé.
Sa dénégation serait : le fait que la shoah a existé me dérange car cela, par exemple me conduit à me sentir responsable d’un tel crime (en tant qu’allemand par exemple, ou fils de nazi, ou simplement en tant qu’occidental non juif, etc.).
Ni déni, ni dénagation dans le négationnisme :
Le négationniste triche et sait qu’il triche. Et comme tout bon tricheur, il tente de dissimuler le fait qu’il triche.
Le négationniste prend le « costume » de l’historien… Notamment, il se fait appeler révisionniste.
Or la révision fait partie du travail de l’historien car la science historique, quoique science de la certitude (comme toute science, n’est présenté comme vérité que ce qui est certain), n’est pas science de l’exactitude (il n’y a que les mathématiques qui peuvent prétendre associer à la certitude l’exactitude, et cela est lié à la simplicité de son objet, à son abstraction, à l’antipode de la compexité des faits humains. Cf Hiérarchie des sciences du philosophe français du XIXe siècle, Auguste Comte).
Les sciences de l’homme sont difficiles, donc : relativement à la complexité de leur objet (l’homme lui-même). Et l’histoire l’est d’autant plus (l’objet de cette science est absent : il s’agit du passé de l’homme). Conséquence, tout travail d’historien gagne à être enrichi, revu par des historiens plus tardifs, lesquels jouissent de plus de recul par rapport au passé étudié). Le souci, pour un historien, c’est d’être le moins possible un homme de son temps (projection de ses valeurs sur le sens du passé…). --) révisions nécessaires.
Or la négation, n’est pas la révision. Le négationnisme n’est pas l’œuvre d’une communauté scientifique où les discours se reprennent et s’enrichissent. Avec le négationnisme, il s’agit de barrer d’un coup tout le travail des prédécesseurs !
--) aucune rigueur scientifique.
Méthodologie de faussaire :
- opère des sélections parmi les faits (par exemple : on avance comme références de camps, des camps de concentration et non d’extermination).
- opère des dissimulations (on ne convoque pas certaines pièces essentielles, telles celles prouvant que la solution finale a été un projet défini par Hitler et son régime monstrueux).
- opère des détournements (par exemple : les chambres à gaz visaient l’assainissement - poux - et non l’extermination d’êtres humains ; les juifs ne furent pas visés en tant que juifs mais en tant que partisans --) pas de crime contre l’humanité mais des crimes de guerre).
- opère des manipulations (par exemple : les négationnistes pointent le chiffre de 4 millions, soi-disant, de victimes juives dans le camp d’Auschwitz-Birkenau… tandis que les historiens finissent par déterminer un chiffre entre 1 et 2 millions de victimes juives. Or la source des négaiotnnistes = une plaque apposée à l’entrée du camp par les soviétiques en 1945… et d’ailleurs, incluant toutes les victimes, pas que les juives ! Aucun historien n’a jamais parlé de 4 millions de victimes juives dans le seul camp d’Auschwitz-Birkenau). Les négationnistes disent alors : « Vous voyez, on vous manipule ! On vous ment ! ».
- on ment (par exemple : les juifs seraient morts du typhus ou de mort naturelle).
Au bout du compte, les négationnistes ont le toupet de désigner les véritables historiens « les mythologistes de l’extermination » (Arthur Butz, l’Escroquerie du XX e siècle).
4) Qu’est-ce que la shoah (dans son principe) ?
La description de certains points conduira aux principes…
Si le négationnisme est une « shoah de papier » : éclairer la shoah = éclairer le négationnisme (et inversement).
La shoah, c’est cela :
1) Etre tout d’un coup pourchassé, traqué… dans le pays même où l’on avait sa place (où l’on avait sa maison, son travail, l’école de ses enfants…) = être rendu tout d’un coup clandestin chez soi !
Un clandestin ? --) un hors-la-loi (il faut se rendre, se marquer de l’étoile jaune… pour suivre les nouvelles lois, des « lois spéciales ».
2) Etre tout d’un coup rendu coupable. Coupable de quoi ? D’être soi-même, d’être celui qu’on est né !
3) Pis : même en fuite on est pourchassé : c’est-à-dire qu’on ne veut plus simplement ne plus vous voir : on veut vous attraper … et on vous déporte !
4) Etre déporté, c’est quoi ? Etre subitement arraché à sa maison, ses biens, son activité (travail ou école)… Etre subitement arraché aux membres de sa famille, ses amis, ses voisins… Etre le plus souvent arraché à son pays, sa langue…
= c’est entrer brutalement dans le monde du non-sens, de l’incompréhension.
La shoah = d’abord une rupture radicale avec le fil de son existence.
5) Ensuite : c’est rester parqué dans une prison ou un camp de transit. Pourquoi ? « On ne savait pas ce que l’on allait faire de nous ».
-) c’est attendre… on ne sait quoi. = l’angoisse.
6) Puis : c’est l’entassement dans un wagon à bestiaux : sans fenêtres, sans toilettes (un sceau), sans hygiène, donc… sans eau, presque sans ou sans nourriture. Voyage de plusieurs jours (épuisement, désespoir, asphyxie…).
7) L’arrivée dans un lieu inconnu : sous des cris en langue étrangère, des coups de bâton, des morsures de chien…
8) Le tri, la sélection : d’un côté un camp, de l’autre des cheminées (certains camps = souvent envoi direct dans les chambres à gaz : Treblinka, Sobibor, Chelmno, Belzec…).
9) La dépersonnalisation : arrachage des photos, des derniers biens, des vêtements, de ses cheveux… de son nom (matricule) !
10) Et ensuite la « vie » (non-vie !) aux camps, avec l’humiliation quotidienne, la privation de l’essentiel (de nourriture, d’eau, de sommeil, de soin…). Et la menace permanente de « finir en fumée » !
*
Il ne s’agissait pas simplement d’exterminer les gens : il fallait les exterminer après les avoir rendus « bêtes », les avoir animalisés (attiser l’instinct de survie, empêcher de penser…)
Comment penser là où « il n’y a pas de pourquoi » ? (Primo Lévi : Si c’est un homme…).
Hébétés dès la sortie des wagons à bestiaux, affamés, épuisés, battus… dans un monde de non-sens radical (par exemple : transporter des pierres en un lieu et les ramener d’où on les a prises… toute la journée).
Dans un monde d’inversion des valeurs : les enfants n’y sont plus une promesse mais des inutilités, les vieillards n’y sont plus des êtres à protéger mais des encombrants, les médecins ne soignent plus mais torturent… !)
--) la shoah = aussi une rupture avec le fil de son histoire (l’histoire ? = le déploiement d’une existence chargée de sens).
Cette rupture = d’autant plus perceptible chez les miraculés (les survivants) et leurs descendants…
Une première rupture, brutale, avec la vie « normale » (déportation).
La seconde = le retour (on vous demande tout d’un coup de redevenir « normal » … impossible ! On ne sait même plus utiliser une petite cuillère !)
Le retour ?
Le désert (Où est ma famille, où sont mes amis, où est ma maison…)
La solitude (Qui me comprend ? Qui a le courage de m’entendre ?)
L’inadaptation (« Je dévorais les épluchures… »)
L’angoisse…
Ces effets de la rupture se transmettent… le fil de l’histoire est bien rompu.
--) la tâche de ces familles de miraculés : tenter de recoudre ce fil, donc de rétablir la parole… la parole sensée. Tenter de restaurer le sens !
*
OR : ce qui a touché plus de 5 millions d’individus engage l’humanité entière : c’est aussi le fil de l’histoire humaine qui a été rompu…
5) Le fil rompu de l’Histoire :
Ce qui est particulièrement déroutant (et inquiétant !), c’est que la shoah a été programmée sur le sol d’une nation hautement civilisée (grande productrice d’artistes, de philosophes, de poètes…). La shoah est un « bébé » de l’Europe occidentale mère, aussi, des Droits de l’homme !
--) le contraste est troublant : la shoah n’est pas le produit d’un déferlement d’instincts mal canalisés mais celui, en grande partie, du froid calcul rationnel (« en grande partie » car les extrêmes s’appellent et quand la raison -en vérité le froid entendement, le « grand séparateur » selon les termes du philosophe Hegel- opère, il se couple avec son « autre » : la folle passion). -) la shoah est le fruit du mariage entre le froid entendement et la haine.
La raison n’est pas la pure pensée calculatrice, mais la belle pensée totalisante qui tient sous l’unité le divers de ce qui fait l’homme : l’intuition et le sentiment et la pensée elle-même.
La pure pensée calculatrice (celle qui rompt avec le reste), c’est la pensée d’entendement.
-) misologie (haine de la raison) non justifiée !
La misologie, c’est le principe même sous-jacent de la shoah : la shoah est un assassinat de la pensée ; un assassinat de la pensée par la médiation de l’assassinat du véhicule de la pensée qu’est l’homme. (reste à savoir pourquoi c’est l’homme juif qui a été élu comme la cible centrale pour attendre l’homme dans son essence…).
Revenir sur cela et insister sur cela : la shoah est un assassinat de la pensée.
1) Un assassinat direct :
a) rendre les hommes « bêtes » (mourir -sterben- et finir -enden-, manger -essen- et se nourrir -fressen-)
b) Pis : les rendre matière inorganique (tas d’os, boue faite de chair et de sang, cendre… mais aussi tissu -cheveux-, engrais…).
2) Un assassinat indirect et insidieux :
a) un fait si déroutant pour la pensée qu’il empêche de penser
-il empêche de penser du fait que nul n’aurait dû survivre et pouvoir témoigner (les derniers survivants : marche de la mort car « porteurs de secret ».
-il empêche de penser car il est si traumatisant que les rescapés sont restés muets pendant longtemps.
-le fait de la shoah empêche de penser car il est inouï et que beaucoup de ceux qui ont entendu les témoignages n’en croyaient pas leurs oreilles (des gardiens de camp à des détenus : « De toute façon, si vous vous en sortez, personne ne vous croira ! »)
Beaucoup, effectivement, n’en ont pas cru leurs oreilles car la définition de l’humain en a pris un coup ! L’idée que l’homme se faisait de lui-même a ici été totalement bouleversée !
--) d’où les mots à la mode d’une partie de la philosophie contemporaine : les mots d’impensable, d’incompréhensible…
Mais ces philosophies ne se rendent pas comptent qu’elle jouent le jeu du principe sous-jacent au fait de la shoah !
Et le négationnisme ? Aussi un assassinat de la pensée, un assassinat insidieux mais radical :
Que fait le négationnisme en niant la shoah ?
Paradoxalement il la perpétue mais sous une forme non identifiable au premier abord :
1) il empêche toute possibilité de réparation chez les survivants et leurs descendants puisque ce que ceux-là ont vécu est barré.
2) il maintient le fil de l’histoire rompu, empêchant le travail de raccommodage de la pensée qui se doit d’interroger le sens du non-sens qu’a déployé la shoah dans l’histoire humaine : on ne raccommode pas un trou qui n’existe pas !
Surtout, surtout, surtout 3) la négation de la shoah est une partie de l’histoire humaine --) nier la shoah, c’est laisser un trou noir, une béance dans le tissu de l’histoire humaine. Or il suffit d’une seule rupture sur le fil pour que toute l’histoire perde son sens !
--) nier la shoah, c’est nier l’histoire entière (nier le fait que l’homme a une histoire, c’est-à-dire nier le fait que le déploiement de son existence dans le temps n’est pas qu’une aventure sans projet, sans valeurs à viser, à préserver… C’est diffuser de l’existence humaine l’image d’un hasardeux rapports de forces (les valeurs sont celles qui s’imposent à un moment donné). Or l’histoire ne peut être que celle de la pensée.
--) Nier l’histoire, ce n’est pas atteindre la pensée partiellement, ce n’est pas atteindre un aspect de l’homme : c’est nier toute la pensée car la pensée dans la totalité de son déploiement et, partant, c’est nier tout l’homme !
--) le négationnisme, comme la shoah, sont les tentatives les plus radicales d’assassinat de la pensée et de l’humain. Il faut le combattre.
Le combattre ? Non pas en lui répondant ! Mais en pensant, encore et toujours, tous les aspects de l’histoire et en donnant une valeur à la vérité qui ressort des travaux des historiens et des philosophes qui ne démissionnent pas sur le chemin de la pensée.
6) Pourquoi l’homme juif ? (je ne mettrai en avant, ici, qu’un aspect : le rapport des juifs au temps. Il y en a d’autres qui vaudraient la peine d’être pointés)
J’affirme que la haine contemporaine des juifs est la haine de l’homme et de la pensée. Car cette haine, comme les deux dernières, n’est pas sans lien avec la haine de l’Histoire.
En honnissant les Juifs, ce que les antisémites contemporains cherchent à atteindre, c’est peut-être bien le peuple dans lequel et par lequel s’est produite la première manifestation du germe de la conscience du temps comme « lieu » du rationnel, c’est-à-dire du germe contenant en soi tout le mouvement de l’Histoire déployé jusqu’à l’avènement de la conscience humaine comme conscience historienne.
A. Heschel, dans son ouvrage Les Bâtisseurs du temps (Les Editions de Minuit, 1957), dit : « Le judaïsme est une religion du temps, tendant à la sanctification du temps ». Précisément, A. Heschel fait remarquer que « la Bible s’intéresse au temps plus qu’à l’espace. [Qu’] elle voit le monde selon les dimensions du temps. [Qu’] elle s’étend sur les générations, les événements, plus que sur les pays et les choses, [qu’] elle s’intéresse à l’histoire plus qu’à la géographie », à tel point que pour la comprendre, dit-il encore, « il faut admettre comme prémisse que le temps possède sa signification propre et son autonomie ».
Il est vrai que ce qui a justement distingué le judaïsme des religions païennes, c’est sa rupture avec les cultes de la nature et, partant, avec le simple « processus toujours répété du cycle de la nature », ainsi que son intérêt pour le monde des hommes comme monde chargé d’un sens proprement historique : « Les divinités des autres peuples étaient associées à des endroits déterminés, à des objets, mais le Dieu d’Israël était le Dieu des événements ». Le Sujet absolu, selon les Juifs, est donc « celui qui se manifeste dans les événements historiques plutôt que dans des objets ou des lieux ».
Nicole-Nikol Abécassis, docteure en philosophie, auteur de Réflexions sur la question négationniste (L’Harmattan. 2008) , a publié aussi : « La fin de l’art « (P.U. de Lille.2003) ; « Les cours d’esthétique de Hegel » (Bréal.2004) ;« Comprendre l’art contemporain » (L’Harmattan. 2007 ) ; « Qu’est-ce que comprendre ? Essai sur le sens » (L’Harmattan.2009).
Le négationnisme n’a pas de patrie. Mais c’est un « bébé » de l’Europe. Deux pays dominent en matière de productions négationnistes : Allemagne (néonazisme) et aux Etats-Unis (en marge du circuit universitaire).
En France, on notera les trois piliers du négationnisme :
- Maurice Bardèche (1907-1998), français, universitaire, se revendiquant ouvertement comme fasciste. Nuremberg ou La Terre Promise (1948)
- Paul Rassinier (1906-1967), français, de gauche. Ancien prisonnier de camp de concentration (Buchenwald, Dora-Mittelbau). Le Mensonge d’Ulysse (1950)
- Robert Faurisson, français, universitaire. Lettre Tribune du Monde : La Rumeur d’Auschwitz (1979)
Attention : aucun n’est historien !
1) D’abord justifier le titre… (« Une shoah de papier »)
- Inspiré du titre d’un recueil d’articles de l’historien Pierre Vidal-Naquet, paru une première fois en 1981 sous le titre de Les Assassins de la mémoire. L’édition définitive de 2005 (La Découverte) : sous-titre = « Un Eichmann de papier ».
Qui était Eichmann ? : un nazi de haut rang qui a pris une part importante dans le programme d’extermination des Juifs d’Europe.
--) le sous-titre sous-entend la chose suivante : la shoah se poursuit sous une nouvelle forme : le négationnisme.
Le négationnisme serait donc exterminateur !
Vidal-Naquet parle effectivement de : « … une tentative d’extermination sur le papier qui relaie l’extermination réelle ».
Pourquoi Vidal-Naquet, spécialiste de l’Antiquité, a-t-il travaillé à publier ce recueil portant comme sous-titre Un Eichmann de papier ?
2) Méthodologie… (la mienne)
Il ne s’agit pas, ici, de mettre des réponses en contradiction (l’objet de ma conférence n’est pas, par exemple, d’opposer ma thèse à celle de Vidal-Naquet). Mais lorsque je pointe que nous n’avons pas les mêmes réponses aux mêmes questions, Vidal-naquet et moi-même (par exemple), je vise en fait à pointer qu’il y a deux démarches bien différentes.
1) l’historienne
2) la philosophique
(pas opposées car complémentaires mais pour autant bien distinctes).
1) l’historien part des faits repérés et y reste : il cherche à les expliquer en les mettant en relation. (= une science)
Il cherche à établir la vérité du passé.
2) le philosophe cherche à dégager le sens du passé : à partir des faits, il cherche à comprendre ce qui a pu conduire les hommes à faire ce qu’ils ont fait, et ce, à partir d’une certaine idée de l’homme que le philosophe a lui-même été amené à développer.
C’est au regard de la philosophie qu’il y a un sens à parler, paradoxalement, d’un acte inhumain, d’une humanité inhumaine.
De l’inhumain, on en parle aussi d’un point de vue moral : mais c’est alors pour condamner et rejeter : « non, cela n’est pas humain, c’est bestial… ou c’est monstrueux ! »
Le philosophe, lui, affronte le paradoxe d’une humanité parfois inhumaine, et cherche à l’éclairer. Tel mon but.
*
Ainsi, Vidal-Naquet, dans Les Assassins de la mémoire, avance plusieurs explications très justes concernant le négationnisme ; et ces explications, il les juxtapose :
Par exemple, qui est négationniste ?
Tout autant :
1) les nostalgiques du nazisme, qui aimeraient bien le voir ressurgir et cherchent ainsi à sauver sa réputation en niant ses pires extrémités --) de ce point de vue, expliquer le négationnisme, c’est expliquer le nazisme.
2) une certaine ultra-gauche anticapitaliste qui aime à voir dans la shoah un mythe entretenu par les Américains (mais aussi, pour parler vite, la France, l’Angleterre…libérales), visant, entre autres, à détourner les regards de l’exploitation subie par les travailleurs du monde entier… (voir La Vieille Taupe)
Etc.
Pour ma part, donc, je tente de comprendre le sens de la shoah et, partant, du négationnisme qui en est le prolongement. (Inversement : comprendre le sens du négationnisme, c’est comprendre un peu la shoah qui est son objet (son non-objet !)).
Certes, il y a quelques autres entreprises philosophiques (très peu !) pour tenter de « comprendre » le fait historique de la shoah (ex : Jean-François Lyotard) mais le plus souvent, c’est pour en arriver à formuler la thèse dangereuse (on verra plus tard pourquoi) de l’impensable et de l’informulable !
Avancer, pour tenter de rendre compte du phénomène négationniste, que l’antisémitisme en est la cause n’est pas faux car, d’un biais ou d’une autre, dans la négation de la shoah, c’est bien toujours les Juifs qui sont visés !
Reste toutefois à se demander la chose suivante: comment comprendre l’antisémitisme du XXe siècle, qui n’est pas le même que celui des siècles précédents (XXe et XIXe et, probablement aussi, du XXIe). Quel est le sens de cette nouvelle forme d’antisémitisme (si la réponse à la question du négationnisme est l’antisémitisme).
3) Le terme (négationnisme)…
C’est un néologisme proposé par l’historien Henry Rousso (1954).
Le négationnisme désigne un parti pris intellectuel (rien à voir avec la dénégation ou le déni psychologiques)
Rien à voir ? Il ne s’agit pas de dire qu’il n’y a aucune dimension psychologique qui intervient dans l’antisémitisme, dans le racisme, etc.
Mais : il s’agit d’indiquer très clairement que ce qui est en vue avec ce que l’on appelle le négationnisme, c’est une position qui se revendique comme intellectuelle (car elle se revendique comme scientifique) et, surtout, une position en tant qu’elle est regardée comme l’expression d’un sujet libre et responsable qui avance des raisons pour défendre sa thèse.
Le point de vue psychologique explique du point de vue de la persuasion (qu’est-ce qui pousse à nier ?) :
Deux processus psychiques possibles :
Le déni (Verleugnung, dans la langue de Freud) : quelque chose me terrorise alors je fais comme si ce quelque chose n’existait pas… Le psychisme vit ainsi ce paradoxe de savoir et de ne pas vouloir savoir.
La dénégation (Verneinung) : quelque chose me dérange, alors je refoule… Il me dérangerait de penser qu’il en est ainsi alors je refoule qu’il en est ainsi et je crois qu’il en est autrement.
Le déni de la shoah serait : l’idée que la shoah a existé me terrorise car je suis conduit à cette autre idée qu’une catastrophe similaire pourrait m’arriver (recommencer), alors je me débrouille pour penser que ce n’est pas vrai que cela a existé.
Sa dénégation serait : le fait que la shoah a existé me dérange car cela, par exemple me conduit à me sentir responsable d’un tel crime (en tant qu’allemand par exemple, ou fils de nazi, ou simplement en tant qu’occidental non juif, etc.).
Ni déni, ni dénagation dans le négationnisme :
Le négationniste triche et sait qu’il triche. Et comme tout bon tricheur, il tente de dissimuler le fait qu’il triche.
Le négationniste prend le « costume » de l’historien… Notamment, il se fait appeler révisionniste.
Or la révision fait partie du travail de l’historien car la science historique, quoique science de la certitude (comme toute science, n’est présenté comme vérité que ce qui est certain), n’est pas science de l’exactitude (il n’y a que les mathématiques qui peuvent prétendre associer à la certitude l’exactitude, et cela est lié à la simplicité de son objet, à son abstraction, à l’antipode de la compexité des faits humains. Cf Hiérarchie des sciences du philosophe français du XIXe siècle, Auguste Comte).
Les sciences de l’homme sont difficiles, donc : relativement à la complexité de leur objet (l’homme lui-même). Et l’histoire l’est d’autant plus (l’objet de cette science est absent : il s’agit du passé de l’homme). Conséquence, tout travail d’historien gagne à être enrichi, revu par des historiens plus tardifs, lesquels jouissent de plus de recul par rapport au passé étudié). Le souci, pour un historien, c’est d’être le moins possible un homme de son temps (projection de ses valeurs sur le sens du passé…). --) révisions nécessaires.
Or la négation, n’est pas la révision. Le négationnisme n’est pas l’œuvre d’une communauté scientifique où les discours se reprennent et s’enrichissent. Avec le négationnisme, il s’agit de barrer d’un coup tout le travail des prédécesseurs !
--) aucune rigueur scientifique.
Méthodologie de faussaire :
- opère des sélections parmi les faits (par exemple : on avance comme références de camps, des camps de concentration et non d’extermination).
- opère des dissimulations (on ne convoque pas certaines pièces essentielles, telles celles prouvant que la solution finale a été un projet défini par Hitler et son régime monstrueux).
- opère des détournements (par exemple : les chambres à gaz visaient l’assainissement - poux - et non l’extermination d’êtres humains ; les juifs ne furent pas visés en tant que juifs mais en tant que partisans --) pas de crime contre l’humanité mais des crimes de guerre).
- opère des manipulations (par exemple : les négationnistes pointent le chiffre de 4 millions, soi-disant, de victimes juives dans le camp d’Auschwitz-Birkenau… tandis que les historiens finissent par déterminer un chiffre entre 1 et 2 millions de victimes juives. Or la source des négaiotnnistes = une plaque apposée à l’entrée du camp par les soviétiques en 1945… et d’ailleurs, incluant toutes les victimes, pas que les juives ! Aucun historien n’a jamais parlé de 4 millions de victimes juives dans le seul camp d’Auschwitz-Birkenau). Les négationnistes disent alors : « Vous voyez, on vous manipule ! On vous ment ! ».
- on ment (par exemple : les juifs seraient morts du typhus ou de mort naturelle).
Au bout du compte, les négationnistes ont le toupet de désigner les véritables historiens « les mythologistes de l’extermination » (Arthur Butz, l’Escroquerie du XX e siècle).
4) Qu’est-ce que la shoah (dans son principe) ?
La description de certains points conduira aux principes…
Si le négationnisme est une « shoah de papier » : éclairer la shoah = éclairer le négationnisme (et inversement).
La shoah, c’est cela :
1) Etre tout d’un coup pourchassé, traqué… dans le pays même où l’on avait sa place (où l’on avait sa maison, son travail, l’école de ses enfants…) = être rendu tout d’un coup clandestin chez soi !
Un clandestin ? --) un hors-la-loi (il faut se rendre, se marquer de l’étoile jaune… pour suivre les nouvelles lois, des « lois spéciales ».
2) Etre tout d’un coup rendu coupable. Coupable de quoi ? D’être soi-même, d’être celui qu’on est né !
3) Pis : même en fuite on est pourchassé : c’est-à-dire qu’on ne veut plus simplement ne plus vous voir : on veut vous attraper … et on vous déporte !
4) Etre déporté, c’est quoi ? Etre subitement arraché à sa maison, ses biens, son activité (travail ou école)… Etre subitement arraché aux membres de sa famille, ses amis, ses voisins… Etre le plus souvent arraché à son pays, sa langue…
= c’est entrer brutalement dans le monde du non-sens, de l’incompréhension.
La shoah = d’abord une rupture radicale avec le fil de son existence.
5) Ensuite : c’est rester parqué dans une prison ou un camp de transit. Pourquoi ? « On ne savait pas ce que l’on allait faire de nous ».
-) c’est attendre… on ne sait quoi. = l’angoisse.
6) Puis : c’est l’entassement dans un wagon à bestiaux : sans fenêtres, sans toilettes (un sceau), sans hygiène, donc… sans eau, presque sans ou sans nourriture. Voyage de plusieurs jours (épuisement, désespoir, asphyxie…).
7) L’arrivée dans un lieu inconnu : sous des cris en langue étrangère, des coups de bâton, des morsures de chien…
8) Le tri, la sélection : d’un côté un camp, de l’autre des cheminées (certains camps = souvent envoi direct dans les chambres à gaz : Treblinka, Sobibor, Chelmno, Belzec…).
9) La dépersonnalisation : arrachage des photos, des derniers biens, des vêtements, de ses cheveux… de son nom (matricule) !
10) Et ensuite la « vie » (non-vie !) aux camps, avec l’humiliation quotidienne, la privation de l’essentiel (de nourriture, d’eau, de sommeil, de soin…). Et la menace permanente de « finir en fumée » !
*
Il ne s’agissait pas simplement d’exterminer les gens : il fallait les exterminer après les avoir rendus « bêtes », les avoir animalisés (attiser l’instinct de survie, empêcher de penser…)
Comment penser là où « il n’y a pas de pourquoi » ? (Primo Lévi : Si c’est un homme…).
Hébétés dès la sortie des wagons à bestiaux, affamés, épuisés, battus… dans un monde de non-sens radical (par exemple : transporter des pierres en un lieu et les ramener d’où on les a prises… toute la journée).
Dans un monde d’inversion des valeurs : les enfants n’y sont plus une promesse mais des inutilités, les vieillards n’y sont plus des êtres à protéger mais des encombrants, les médecins ne soignent plus mais torturent… !)
--) la shoah = aussi une rupture avec le fil de son histoire (l’histoire ? = le déploiement d’une existence chargée de sens).
Cette rupture = d’autant plus perceptible chez les miraculés (les survivants) et leurs descendants…
Une première rupture, brutale, avec la vie « normale » (déportation).
La seconde = le retour (on vous demande tout d’un coup de redevenir « normal » … impossible ! On ne sait même plus utiliser une petite cuillère !)
Le retour ?
Le désert (Où est ma famille, où sont mes amis, où est ma maison…)
La solitude (Qui me comprend ? Qui a le courage de m’entendre ?)
L’inadaptation (« Je dévorais les épluchures… »)
L’angoisse…
Ces effets de la rupture se transmettent… le fil de l’histoire est bien rompu.
--) la tâche de ces familles de miraculés : tenter de recoudre ce fil, donc de rétablir la parole… la parole sensée. Tenter de restaurer le sens !
*
OR : ce qui a touché plus de 5 millions d’individus engage l’humanité entière : c’est aussi le fil de l’histoire humaine qui a été rompu…
5) Le fil rompu de l’Histoire :
Ce qui est particulièrement déroutant (et inquiétant !), c’est que la shoah a été programmée sur le sol d’une nation hautement civilisée (grande productrice d’artistes, de philosophes, de poètes…). La shoah est un « bébé » de l’Europe occidentale mère, aussi, des Droits de l’homme !
--) le contraste est troublant : la shoah n’est pas le produit d’un déferlement d’instincts mal canalisés mais celui, en grande partie, du froid calcul rationnel (« en grande partie » car les extrêmes s’appellent et quand la raison -en vérité le froid entendement, le « grand séparateur » selon les termes du philosophe Hegel- opère, il se couple avec son « autre » : la folle passion). -) la shoah est le fruit du mariage entre le froid entendement et la haine.
La raison n’est pas la pure pensée calculatrice, mais la belle pensée totalisante qui tient sous l’unité le divers de ce qui fait l’homme : l’intuition et le sentiment et la pensée elle-même.
La pure pensée calculatrice (celle qui rompt avec le reste), c’est la pensée d’entendement.
-) misologie (haine de la raison) non justifiée !
La misologie, c’est le principe même sous-jacent de la shoah : la shoah est un assassinat de la pensée ; un assassinat de la pensée par la médiation de l’assassinat du véhicule de la pensée qu’est l’homme. (reste à savoir pourquoi c’est l’homme juif qui a été élu comme la cible centrale pour attendre l’homme dans son essence…).
Revenir sur cela et insister sur cela : la shoah est un assassinat de la pensée.
1) Un assassinat direct :
a) rendre les hommes « bêtes » (mourir -sterben- et finir -enden-, manger -essen- et se nourrir -fressen-)
b) Pis : les rendre matière inorganique (tas d’os, boue faite de chair et de sang, cendre… mais aussi tissu -cheveux-, engrais…).
2) Un assassinat indirect et insidieux :
a) un fait si déroutant pour la pensée qu’il empêche de penser
-il empêche de penser du fait que nul n’aurait dû survivre et pouvoir témoigner (les derniers survivants : marche de la mort car « porteurs de secret ».
-il empêche de penser car il est si traumatisant que les rescapés sont restés muets pendant longtemps.
-le fait de la shoah empêche de penser car il est inouï et que beaucoup de ceux qui ont entendu les témoignages n’en croyaient pas leurs oreilles (des gardiens de camp à des détenus : « De toute façon, si vous vous en sortez, personne ne vous croira ! »)
Beaucoup, effectivement, n’en ont pas cru leurs oreilles car la définition de l’humain en a pris un coup ! L’idée que l’homme se faisait de lui-même a ici été totalement bouleversée !
--) d’où les mots à la mode d’une partie de la philosophie contemporaine : les mots d’impensable, d’incompréhensible…
Mais ces philosophies ne se rendent pas comptent qu’elle jouent le jeu du principe sous-jacent au fait de la shoah !
Et le négationnisme ? Aussi un assassinat de la pensée, un assassinat insidieux mais radical :
Que fait le négationnisme en niant la shoah ?
Paradoxalement il la perpétue mais sous une forme non identifiable au premier abord :
1) il empêche toute possibilité de réparation chez les survivants et leurs descendants puisque ce que ceux-là ont vécu est barré.
2) il maintient le fil de l’histoire rompu, empêchant le travail de raccommodage de la pensée qui se doit d’interroger le sens du non-sens qu’a déployé la shoah dans l’histoire humaine : on ne raccommode pas un trou qui n’existe pas !
Surtout, surtout, surtout 3) la négation de la shoah est une partie de l’histoire humaine --) nier la shoah, c’est laisser un trou noir, une béance dans le tissu de l’histoire humaine. Or il suffit d’une seule rupture sur le fil pour que toute l’histoire perde son sens !
--) nier la shoah, c’est nier l’histoire entière (nier le fait que l’homme a une histoire, c’est-à-dire nier le fait que le déploiement de son existence dans le temps n’est pas qu’une aventure sans projet, sans valeurs à viser, à préserver… C’est diffuser de l’existence humaine l’image d’un hasardeux rapports de forces (les valeurs sont celles qui s’imposent à un moment donné). Or l’histoire ne peut être que celle de la pensée.
--) Nier l’histoire, ce n’est pas atteindre la pensée partiellement, ce n’est pas atteindre un aspect de l’homme : c’est nier toute la pensée car la pensée dans la totalité de son déploiement et, partant, c’est nier tout l’homme !
--) le négationnisme, comme la shoah, sont les tentatives les plus radicales d’assassinat de la pensée et de l’humain. Il faut le combattre.
Le combattre ? Non pas en lui répondant ! Mais en pensant, encore et toujours, tous les aspects de l’histoire et en donnant une valeur à la vérité qui ressort des travaux des historiens et des philosophes qui ne démissionnent pas sur le chemin de la pensée.
6) Pourquoi l’homme juif ? (je ne mettrai en avant, ici, qu’un aspect : le rapport des juifs au temps. Il y en a d’autres qui vaudraient la peine d’être pointés)
J’affirme que la haine contemporaine des juifs est la haine de l’homme et de la pensée. Car cette haine, comme les deux dernières, n’est pas sans lien avec la haine de l’Histoire.
En honnissant les Juifs, ce que les antisémites contemporains cherchent à atteindre, c’est peut-être bien le peuple dans lequel et par lequel s’est produite la première manifestation du germe de la conscience du temps comme « lieu » du rationnel, c’est-à-dire du germe contenant en soi tout le mouvement de l’Histoire déployé jusqu’à l’avènement de la conscience humaine comme conscience historienne.
A. Heschel, dans son ouvrage Les Bâtisseurs du temps (Les Editions de Minuit, 1957), dit : « Le judaïsme est une religion du temps, tendant à la sanctification du temps ». Précisément, A. Heschel fait remarquer que « la Bible s’intéresse au temps plus qu’à l’espace. [Qu’] elle voit le monde selon les dimensions du temps. [Qu’] elle s’étend sur les générations, les événements, plus que sur les pays et les choses, [qu’] elle s’intéresse à l’histoire plus qu’à la géographie », à tel point que pour la comprendre, dit-il encore, « il faut admettre comme prémisse que le temps possède sa signification propre et son autonomie ».
Il est vrai que ce qui a justement distingué le judaïsme des religions païennes, c’est sa rupture avec les cultes de la nature et, partant, avec le simple « processus toujours répété du cycle de la nature », ainsi que son intérêt pour le monde des hommes comme monde chargé d’un sens proprement historique : « Les divinités des autres peuples étaient associées à des endroits déterminés, à des objets, mais le Dieu d’Israël était le Dieu des événements ». Le Sujet absolu, selon les Juifs, est donc « celui qui se manifeste dans les événements historiques plutôt que dans des objets ou des lieux ».
Nicole-Nikol Abécassis, docteure en philosophie, auteur de Réflexions sur la question négationniste (L’Harmattan. 2008) , a publié aussi : « La fin de l’art « (P.U. de Lille.2003) ; « Les cours d’esthétique de Hegel » (Bréal.2004) ;« Comprendre l’art contemporain » (L’Harmattan. 2007 ) ; « Qu’est-ce que comprendre ? Essai sur le sens » (L’Harmattan.2009).